Éphémère

J’ai pris la main d’un éphémère
Et nous avons longtemps dansé,
Sous un ciel bleu, sous un ciel clair,
Sur de vieux airs du temps passé.

Airs de nos jours d’adolescence,
Ces jours qui ne reviennent plus,
Car l’éphémère est inconstance,
Le passé à jamais révolu.

Donne-moi ta main et prends la mienne,
Nous marcherons vers l’infini.
Et l’amour que nos mains soutiennent,
Résistera malgré les pluies.

Main dans la main sur cette terre,
Ensemble on a vécu la vie.
Ce qu’on construit reste éphémère,
On a victoires, défaites aussi.

Mais nos deux mains dans les épreuves,
Toujours sont demeurées unies.
Nos mains ridées portent la preuve,
Que le temps use et qu’il détruit.

Puis ta main a lâché la mienne,
Vers l’au-delà tu es parti.
Nos efforts jamais ne retiennent
L’éphémère qui un jour s’enfuit.

J’ai pris la main d’un éphémère,
Ensemble nous avons marché
En passagers sur cette terre,
Le regard vers l’éternité.

-Annick Markmann

Retour… (poème nostalgique)

J’ai voulu un jour revenir,
portant en moi vos souvenirs,
sur les sentiers de notre enfance.

Nous avions été si heureux,
je voulais retrouver les lieux
témoins de notre insouciance.

C’était un jour du mois de juin,
notre faubourg n’était pas loin,
je marchais avec assurance.

Le temps voilé et nuageux
teintait tout de mystérieux
et modifiait les apparences.

Lorsque j’arrivai sur la place
où nous jouions après la classe,
je ne trouvai que discordance.

Tout avait été bouleversé,
les vieilles maisons rasées,
des parkings en abondance.

Plus de demeures ancestrales,
on était dans un lieu banal,
sans chic, sans âme, sans substance.

J’ai pris la côte qui s’élevait,
qui au grand pré aboutissait
près de chez nous et quelle chance !

J’ai retrouvé la cour de pierre,
la maison blottie sous le lierre,
où nous vivions en confiance.

C’était dans les temps de la guerre,
des privations, de la misère,
mais aussi de la résistance.

J’ai tout revu: nos fleurs sauvages,
bleus myosotis et tussilage,
qui poussaient là avec vaillance.

Le clair talus de marguerites
qu’on effeuillait selon le rite,
des amours fous, des confidences.

Les papillons de forme étrange,
ailés de bleu, noir et d’orange
volaient toujours en abondance.

Les grappes en fleur du lilas blanc,
que ma douce mère aimait tant
embaumaient pour la circonstance.

J’ai mis à jour la grande dalle
où les Boches avaient fait escale,
par un sombre soir de vacances.

Ils s’étaient assis pour manger,
du pain de saindoux tartiné,
qui repoussait notre appétence.

L’un d’eux a frappé chez Nanou,
demandant à jouer pour nous,
sur le piano, des airs de France.

Je m’en souviens, je m’étais dit,
qu’il avait l’air plutôt gentil,
et assez digne de confiance.

Nos parents nous avaient redit
« N’acceptez rien de l’ennemi. »
Nous demeurions dans la méfiance.

Cette dalle, je l’ai dégagée,
des branchages accumulés,
durant des ans de négligence.

Sur elle nous posions nos tréteaux
nous déclamions Labiche, Feydeau,
pour un public plein d’indulgence.

Fête annuelle dans le quartier,
des talents étaient révélés,
sur cette scène, en abondance.

Claudette chantait avec passion
chaque année la même chanson,
celle des tristes roses blanches.

Je retrouvais vos noms enfouis
dans ces lieux où coulait l’oubli.
Et contre toute convenance,

Vos prénoms m’étant revenus,
je les ai criés vers les nues,
Et j’ai pleuré sur votre absence.

Oh mes parents, oh mes amis,
Vous me manquez tant aujourd’hui!
La mort crée de la souffrance.

Je ne vais jamais revenir,
mais je garde vos souvenirs,
qui ont fondé mon existence.

– Annick Markmann

Retour au pays des merveilles

La ville semblait abandonnée,
Toutes les boutiques étaient fermées.
Rue de Strasbourg, pas un péquin,
Pas âme qui vive sur mon chemin.

Je recherchais la rue Jean Bocq,
Elle ne devait plus être loin
Quand je ressentis un vrai choc,
Le voyant déboucher au coin.

Il avançait en sautillant.
Je le reconnus à l’instant :
Les yeux roses, un lapin blanc,
Celui d’Alice assurément.

S’approchant de moi, il me dit :
« Enfin ! c’est vous, j’en suis ravi ! »
Puis il repart d’un pas pressé,
Un registre sous le bras serré.

Je suis ce guide sans hésiter.
Et par une ouverture cachée,
Nous sommes dans une longue allée
Dont l’issue vient de se fermer.

Registre en main, il me fait face
Et lit alors à haute voix.
« Vingt-sixième, c’est votre place,
Votre oral n’a pas fait le poids. »

Vingt-cinq places sont à pourvoir,
Grande est ma désolation.
« Échec, usine obligatoire ! »,
Mots de Maman et sommation.

Qu’allait-il donc m’arriver ?
Mon cœur s’était accéléré.
Jusque-là je réussissais.
J’avais brillé, ça s’éteignait !

« Décision de dernier instant,
On vous repêche nonobstant.
Vous êtes donc ainsi admise. »
En esprit, je relativise…

« Les derniers seront les premiers ! »
Cela, peut-il m’encourager ?
Cet échec je vais l’accepter,
Et marcher dans la vérité.

« Allez, venez, le temps galope ! »
Mille portes étiquetées,
S’offraient à mon regard de myope,
Qui ne pouvait les déchiffrer.

L’une d’entre elles m’est désignée
« Pour vous la plus petite porte,
Vous apprendrez l’humilité. »
Et je suis entrée sans escorte.

Seule dans le hall j’ai constaté
Que la loge était éclairée.
Sur l’étagère j’ai retrouvé
Le vieux stylo et le cahier.

J’ai noté mon heure d’arrivée,
Le jour, le mois, aussi l’année.
Depuis ma précédente entrée,
Soixante-trois ans étaient passés.

Alors j’ai soufflé sur les pages,
La poussière s’en est envolée,
Et j’ai retrouvé vos visages,
Mes amies des temps écoulés.

Franchissant les trois hautes marches,
J’ouvrais la porte, et arrivais,
Dans la maison matriarche
Où notre passé reposait.

Prenant à droite, au réfectoire,
Je trouvais les tables alignées,
À l’office trônaient en gloire,
Assiettes et verres dans leurs paniers.

Mais la cuisine était déserte,
La vie l’avait abandonnée.
Pas de fou rire, de mots alertes,
Dans l’oubli tout semblait couché.

Pas de lait chaud, de confiture,
Pas de pain frais pour déjeuner,
Pas de sucre, de beurre nature,
Pas la senteur d’un bon café.

Je me souvins des tables prêtes
Et de l’amour qui régnait.
Assiettes, bols et la serviette
Qu’à chaque place on déposait.

Et j’eus de la reconnaissance
Envers vous qui m’aviez donné,
Un de vos sucres avec constance,
Pour chaque compète de course à pied.

Dans cette école, l’amour régnait
Avec respect, et liberté.
Au-dessus des normes on vivait,
Bien que normale fût désignée.

Madame aussi veillait sans cesse
Dans la froideur d’un regard bleu,
À l’ordre toujours rigoureux,
Sous l’exigence et sans faiblesse.

Puis, dans l’escalier somptueux,
Je me suis alors engagée.
Sous mille pas, les vieux degrés,
S’étaient creusés en leur milieu.

La rampe était toujours solide.
J’aurais tant aimé y glisser
Lors de ma jeunesse stupide,
De ma fantaisie débridée.

J’ai redécouvert le dortoir
De nos trois premières années.
Moi, je dormais dans le couloir,
Ça ne m’a jamais dérangée.

Les chambres étaient ouvertes
Les lits défaits, rideaux tirés.
Les lavabos sous les fenêtres,
Et leurs cuvettes basculées.

Je suis descendue dans les classes
Et vous ai toutes recouvrées.
Douce Gisèle, ses joies fugaces,
Simone, et sa témérité.

J’ai vu Jeanine qui tricotait,
J’ai vu Michèle qui skiait,
Marie-Paule, et Jeanne, toutes,
Je vous aimais sans nul doute.

J’ai entendu chanter Arlette,
Son du piano et dans le noir,
Salle de dessin, c’est plutôt chouette,
Ses mains qui dessinaient l’espoir.

Je vous ai revues dans vos gestes,
Avec vos craintes et vos désirs,
Les lourds chagrins des grandes pertes
Où la mort a trouvé plaisir.

Dans l’amphi aux cent éprouvettes,
La blouse sombre de Mémé.
Cours de sciences, le seau obsolète,
Des grenouilles à décérébrer.

Et l’aquarium, et ses poissons,
Clair palier, précieuses plantes
Salle de lecture, petit salon,
Bureau de Madame, de l’intendante.

Tout de son âme était vidé,
Rien ne subsistait du passé.
L’existence j’ai contemplé :
Ici-bas tout est vanité.

La cloche sonne, est-ce Denise,
M’annonçant qu’il faut repartir.
Sur le tableau, une devise,
Je désirais encore écrire.

« Premier avril, ai-je noté
De l’an deux mille vingt et un.
Le monde entier est confiné,
Bien réfléchir est opportun.

Ce que nous sommes sur cette terre
Ne subsiste qu’un court instant.
Un régime totalitaire,
Se met en place sournoisement.

Ce qui fait notre humanité,
Est la liberté que Dieu donne.
Résister me semble un mot clé,
Afin de demeurer des hommes. »

Le lapin blanc est revenu,
Fini le pays des merveilles.
Il m’ouvre la porte sur la rue
Et me glisse ces mots à l’oreille :

« Vous sortez d’un temps révolu
Pour entrer dans une ère nouvelle
Celle du libre arbitre perdu
En échange de bienfaits matériels. »

-Annick Markmann