La maison était un bungalow blanc ordinaire, entouré d’une
clôture de bois blanchi à l’ancienne. J’étais passé par là de nombreuses fois,
mais cette fois-ci, je marchais plus lentement et en jetant un coup d’œil dans
la cour arrière, j’ai aperçu une vieille tonnelle recouverte de roses. De
l’autre côté de la tonnelle, j’ai pu entrevoir des éclats de couleurs
scintillantes, illuminés par le soleil matinal. C’est ainsi que je me suis
rendu compte qu’il y avait un paradis caché derrière la maison, que je n’avais
jamais remarqué. J’avais parfois salué le vieil homme qui vivait là, mais je n’avais
jamais remarqué son jardin. Tandis que je me tenais debout, hypnotisé, le vieil
homme apparut dans l’embrasure de la tonnelle et m’a fait signe de la main. Je
l’ai salué en retour, gêné qu’il m’ait surpris en train de regarder dans son
jardin.
« J’admirais votre jardin », lui
ai-je dit.
« J’en
profitais aussi ! »
répondit-il en souriant. « Voulez-vous que je vous le montre ? »
J’ai traversé la pelouse couverte de rosée. Le vieillard m’a chaleureusement
tendu la main et ses yeux scintillaient en souriant. Ses mains étaient calleuses
et rugueuses. Les mains d’un jardinier, me suis-je dit. Bien que l’homme fût
silencieux, ce n’était pas un silence gênant. J’ai eu le sentiment qu’il était
à l’aise avec le calme. Alors que nous marchions vers la tonnelle, il s’est mit
à parler.
« Je l’appelle mon jardin des
pensées »,
dit-il. « Quand j’ai acheté cet endroit, il y a des
années, la cour arrière était un enchevêtrement de mauvaises herbes. À cette
époque de ma vie, mon esprit était aussi plein de mauvaises herbes. C’est en
travaillant à nettoyer tout ce gâchis que j’ai compris les similitudes, et j’ai
décidé à ce moment-là que je me consacrerais à nettoyer les deux. C’était il y
a de nombreuses années, et maintenant, dans ma vieillesse, je peux vous dire
que le résultat a été bien meilleur que je ne l’aurais jamais imaginé. Mais je
ne m’attribue pas le mérite. Il va au Maître Jardinier. »
J’ai vu que nous approchions d’un chemin fait de pierres
posées ici et là et qui menaient à la tonnelle. « C’est une
partie importante du voyage », m’a-t-il dit. J’ai lu le
message écrit sur chaque pierre en avançant lentement vers le jardin.
« Détruire les raisonnements » (2
Corinthiens 10.5), c’était l’inscription sur la première pierre. « Une étape
très importante dans la croissance d’un bon jardin de la pensée, » dit le
vieil homme. « Les imaginations ou les raisonnements peuvent
être très dommageables. Il est important de les emmener en captivité. »
« Pas de plus haute opinion » (Romains 12.3),
pouvait-on lire sur la pierre suivante. « Qu’est-ce
que ça veut dire ? » ai-je
demandé.
« Ne te crois pas meilleur que tu
ne l’es »,
répondit-il. Si on s’estime trop bon, on ne peut pas se mettre à genoux pour
arracher les mauvaises herbes, et on ne sera pas assez humble pour donner une
fleur à un passant. »
« Observe les lis » (Matthieu 6.28)
était l’inscription suivante. « Le maître jardinier nous
rappelle, dit le vieil homme, que les lis fleurissent dans les champs, non pas
par leurs propres efforts ou par l’inquiétude, mais simplement en trempant dans
la pluie et le soleil qu’on leur envoie. »
Maintenant, nous étions arrivés jusqu’à la tonnelle. J’ai levé
les yeux, et j’ai vu qu’il y avait aussi une inscription au-dessus de ma tête. « Toute chose
belle en son temps » (Ecclésiaste 3.11). J’ai
regardé le vieil homme, et il a hoché la tête. « J’étais
découragé au début ; quand j’ai
vu le désordre terrible, dans ce jardin, dans mon cœur et dans mon esprit, je
ne savais pas comment j’arriverais jamais à le nettoyer. Je suis tombé à genoux
ici. J’ai vu les mauvaises herbes, la douleur, les années de mauvais ensemencements
qui avaient conduit à cela, et cela semblait impossible. À ce moment-là, il m’a
semblé que le Maître Jardinier est apparu. J’ai vu une vision d’épines, de
chardons et de sueur sur le front. J’avais l’impression de voir ces épines
tordues dans un cruel appareil de torture, alors que le Maître Jardinier se
chargeait de faire l’impossible. J’ai su alors que j’avais raison. Je n’y
arriverais jamais. Mais lui, il le pourrait. Il faudrait que je m’implique
activement, mais ce sont ses mains abîmées par les épines qui me donneraient la
force d’arracher ces mauvaises herbes et de planter de nouvelles graines. C’est
alors que j’ai pu croire que tout deviendrait beau en son temps. »
J’ai essuyé une larme sur ma joue, et en marchant à travers la
tonnelle, j’ai remarqué de nouveau les roses qui la recouvraient. Elles
fleurissaient d’un rouge vif, et comme j’admirais la couleur et l’odeur, les épines
attirèrent mon regard, et j’ai incliné la tête.
Lorsque nous avons franchi la tonnelle et pénétré dans le
jardin lui-même, c’était comme si j’étais dans un rêve. La rosée du matin était
encore sur les fleurs, et la lumière du soleil les faisait briller d’un éclat
qui semblait céleste. Le vieil homme resta silencieusement avec moi un moment,
inspiré par tant de beauté. Il s’est approché d’un banc à proximité, et nous
nous sommes assis.
« Parlez-moi du jardin », lui
ai-je demandé. « Vous m’avez parlé du début du
processus de nettoyage. Qu’est-ce qui s’est passé ensuite ? »
« Puis vint la rupture du sol »,
répondit-il. Les racines étaient dures et certaines étaient profondes. Je
voulais creuser assez profondément pour m’assurer de les éliminer toutes. Le
sol devait être brisé et amolli. Au fur et à mesure que je travaillais, les
analogies continuaient de m’apparaître. Je savais que le même processus devait
se produire dans mon esprit et dans mon cœur. Mon cœur avait besoin d’être
adouci, et j’avais besoin de creuser jusqu’au fond pour éradiquer les racines
des mauvaises herbes. Chaque fois que les mauvaises herbes commençaient à
repousser, je les arrachais immédiatement et je les détruisais. Je savais que
les mauvaises habitudes de ma vie étaient comme ces mauvaises herbes, et
avaient besoin du même traitement. »
Je me suis déplacé sur le banc, et je me suis retourné pour
regarder le vieil homme. « Dans votre vie, les mauvaises
habitudes étaient des mauvaises herbes. D’où viennent ces mauvaises herbes ? »
« Des semences », a-t-il
dit. « Toutes
les plantes poussent à partir de graines. Dans les jardins de notre esprit, les
pensées sont les graines. »
« D’où viennent ces graines de
mauvaises herbes ? »
Il s’est penché vers le bas, a arraché une petite pousse de
sarrasin et me l’a donnée. « Celle-ci provient probablement du
champ, m’a-t-il suggéré en faisant un geste vers la vaste prairie qui s’étendait
au-delà de son arrière-cour. Les vents de la vie soufflent les graines, bonnes
et mauvaises, et certaines de chaque type vont atterrir dans notre sol. Cela
exige de l’entretien et de la vigilance. Nous pouvons aussi acheter des
semences. Je vois les choses de cette façon. Aller dans des lieux de bonne
influence, c’est comme aller dans un stand de marché qui vend de bonnes
semences. Il peut s’agir d’aller chez votre ami, de sortir dans le champ de blé
pour méditer, ou d’aller à l’église et de recevoir des semences de qualité pour
votre âme.
Aller dans des lieux de mauvaise influence, c’est comme aller
dans un stand de marché qui vend des graines de mauvaises herbes. Ces kiosques
de marché sont souvent très attrayants et ont beaucoup plus de publicité que
les kiosques qui vendent de bonnes semences. Les vendeurs de graines de
mauvaises herbes sont très persuasifs, et bien que leurs produits semblent
attrayants, les plantes qui poussent de ces graines sont très toxiques. D’après
mon expérience, les graines de mauvaises herbes que j’ai volontairement
achetées sur le marché sont très dangereuses.
De plus, les graines apparemment inoffensives qu’un ami bien
intentionné me donne peuvent en fait être nocives et devenir des mauvaises
herbes laides. Quand je rentre d’une visite ou d’un voyage avec une poche
pleine de graines, je dois les trier avant de les planter. J’appelle mon
processus de tri le processus “tout ce qui est”. Il s’agit d’un processus
séculaire, appris par de nombreux jardiniers avertis au fil des ans, et qui se
déroule comme suit : toutes les choses qui sont véritables, honnêtes, justes,
pures, aimables, de bonne réputation, vertueuses, et dignes de louange ; que
toutes ces choses occupent vos pensées. (Philippiens 4.8) Ce processus est
la meilleure garantie pour le développement d’un jardin de la pensée sain et
beau. »
Une douce brise a commencé à souffler du champ, et un colibri est
passé tout près. J’avais tant de questions, et tandis que le soleil montait
plus haut dans le ciel, réchauffant le sol sous nos pieds, il me semblait que
le sol dans mon cœur se réchauffait aussi.
Le vieil homme s’est levé et m’a fait signe. « Viens
avec moi vers l’eau ».
Je l’ai suivi le long du sentier étroit où des pétunias et des
plants de pommes de terre fleurissaient au soleil. Des coquelicots et des lys brossaient
les jambes de mon pantalon, et tous semblaient avoir été traités avec tendresse
et amour. « Rester sur une pensée, c’est comme fertiliser
une graine », m’a dit le vieil homme, alors qu’il s’arrêtait
pour ramasser une pierre et la jeter sur un tas dans un coin du jardin. À l’ombre
d’un saule, où les hostas et les fougères tapissaient le sol, le vieil homme s’est
agenouillé. Ne sachant pas quoi faire d’autre, je me suis agenouillé aussi. Il a
soulevé une feuille d’hosta, découvrant un robinet. Il lui a donné un tour, et
bientôt, un léger jet a commencé à tomber sur tout le jardin. « J’ai
installé ce système d’arrosage dès le début, » dit-il.
« J’aurais
pu mettre ce robinet près de la maison, à un niveau facile d’accès, mais j’ai
décidé de le mettre ici. Dans nos jardins de pensées, nous avons besoin de la
pluie de Dieu pour arroser nos cœurs. En faisant le voyage jusqu’au lieu de
prière, et en nous agenouillant dans un coin tranquille du jardin, nous pouvons
accéder au robinet de la grâce de Dieu, le maître jardinier. La pluie douce de
son Esprit adoucit le sol et étanche notre soif. Les précieuses graines de
pensée qu’il nous a données peuvent alors devenir de belles plantes. »
Il a mis sa main sur mon épaule pendant que nous marchions sans un mot, de retour le long des chemins, jusqu’à la tonnelle, par-dessus les pierres, et de retour dans le monde réel. J’ai tendu la main, et il l’a bien serrée. J’ai ouvert la bouche pour le remercier, mais il a levé la main pour m’arrêter. Il a mis la main dans sa poche et a sorti un paquet de semences. J’ai hoché la tête, j’ai pris le paquet, et comme je me suis tourné pour partir, je savais au fond de mois que les graines dans ce paquet allaient devenir quelque chose de beau.
- écrit par le frère Karlos Isaac pour une soirée d’encouragement chrétien à Montréal
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