Pardonner

La maîtresse se lève, il est l’heure de partir.
Vite se dit l’enfant, qui s’apprête à sortir.
Cartable sous le bras, elle court empressée.
Elle a vu au bazar un service à café.

Six tasses, six soucoupes qu’elle veut pour sa Maman,
Un décor japonais dans un coffret charmant.
Elle a compté ses sous. Si ce n’est pas trop cher,
Quel merveilleux cadeau pour la fête des Mères !

Elle pousse la porte, le timbre carillonne.
Oui, elle peut acheter, l’enfant s’en émotionne.
On le met de côté pour elle jusqu’à jeudi.
Maintenant il lui faut rattraper ses amis.

Elle a peur, l’enfant, de rencontrer Germaine,
Sa voisine de classe qui la traite avec haine.
Et qui, sans qu’on la voie, à l’aide d’un crochet
Déchire ses vêtements, l’enferme aux cabinets.

L’enfant court, vole, afin de pouvoir rattraper
Sa chère amie Andrée et ses frères plus âgés.
Elle veut se joindre à eux jusques à sa maison.
Germaine dépitée l’injurie sans raison.

Ses bons amis l’ont protégée, sa joie est vive.
Merci, Andrée, Luc et Vincent, l’enfant arrive.
Voici la porte, laquelle n’est pas fermée à clé,
Il suffit de pousser, la serrure est cassée.

On entre ainsi dans la cuisine, pièce de vie.
La tapisserie aux tons passés reste fleurie.
Rien n’est précieux dans ces lieux désuets,
De vieux meubles cirés en gardent les secrets.

Le trésor de l’endroit, ce sont ses habitants.
Il n’y a rien à prendre lorsqu’ils sont absents.
Un poste de radio sur un buffet sculpté
Y côtoie une boîte faite de bois doré.

Ce coffret, qu’on appelle la boîte à offenses,
Est plus simple d’emploi que ne l’est la vengeance.
À l’intérieur, de quoi écrire rapidement,
Un briquet à molette ; une longueur de ruban.

L’enfant en sort feuille et crayon puis écrit :
« Germaine, en classe, a tout déchiré mes habits.
À la récré, dans les toilettes, elle m’a bloquée »
« Le grand-père de Josette voulait m’humilier. »

Elle signe ce dépôt de son simple prénom,
Le place dans la boîte avec le crayon.
Le dernier jour de la semaine, le samedi,
On se lave le corps et l’on pardonne aussi.

Lorsque tous sont propres et avant le dîner
Son père met sur la table la boîte concernée.
Il ajoute une assiette, et le ruban noué.
Chacun prend le papier qu’il a un jour signé.

Et devant la famille qui s’est rassemblée,
Les offenses vécues sont alors exposées.
La mère de l’enfant redoutant la violence
Ira voir la maîtresse pour plus de vigilance.

Le Grand-père de Josette, eh bien, qu’avait-il dit ?
L’enfant porte à Josette ses devoirs par écrit,
Car Josette est malade. Et l’enfant écrit bien.
« Belle écriture, science des ânes », dit le doyen.

C’est un temps solennel, et l’enfant va parler :
« À Germaine qui m’a, à l’école attaquée,
Je choisis librement d’accorder mon pardon.
Un choix irrévocable et signé de mon nom. »

« Et je pardonne aussi au grand-père de Josette. »
Elle fait alors brûler son papier dans l’assiette.
Puis elle défait le nœud dans le ruban formé,
« Je libère maintenant tous ceux qui m’ont blessée. »

Autour de la table, successivement on pardonne.
Offenses effacées, la liberté est bonne.
Il est l’heure de dîner, le repas est si bon
Quand le cœur est léger par l’accord du pardon.

-Annick Markmann