J’ai voulu un jour revenir,
portant en moi vos souvenirs,
sur les sentiers de notre enfance.
Nous avions été si heureux,
je voulais retrouver les lieux
témoins de notre insouciance.
C’était un jour du mois de juin,
notre faubourg n’était pas loin,
je marchais avec assurance.
Le temps voilé et nuageux
teintait tout de mystérieux
et modifiait les apparences.
Lorsque j’arrivai sur la place
où nous jouions après la classe,
je ne trouvai que discordance.
Tout avait été bouleversé,
les vieilles maisons rasées,
des parkings en abondance.
Plus de demeures ancestrales,
on était dans un lieu banal,
sans chic, sans âme, sans substance.
J’ai pris la côte qui s’élevait,
qui au grand pré aboutissait
près de chez nous et quelle chance !
J’ai retrouvé la cour de pierre,
la maison blottie sous le lierre,
où nous vivions en confiance.
C’était dans les temps de la guerre,
des privations, de la misère,
mais aussi de la résistance.
J’ai tout revu: nos fleurs sauvages,
bleus myosotis et tussilage,
qui poussaient là avec vaillance.
Le clair talus de marguerites
qu’on effeuillait selon le rite,
des amours fous, des confidences.
Les papillons de forme étrange,
ailés de bleu, noir et d’orange
volaient toujours en abondance.
Les grappes en fleur du lilas blanc,
que ma douce mère aimait tant
embaumaient pour la circonstance.
J’ai mis à jour la grande dalle
où les Boches avaient fait escale,
par un sombre soir de vacances.
Ils s’étaient assis pour manger,
du pain de saindoux tartiné,
qui repoussait notre appétence.
L’un d’eux a frappé chez Nanou,
demandant à jouer pour nous,
sur le piano, des airs de France.
Je m’en souviens, je m’étais dit,
qu’il avait l’air plutôt gentil,
et assez digne de confiance.
Nos parents nous avaient redit
« N’acceptez rien de l’ennemi. »
Nous demeurions dans la méfiance.
Cette dalle, je l’ai dégagée,
des branchages accumulés,
durant des ans de négligence.
Sur elle nous posions nos tréteaux
nous déclamions Labiche, Feydeau,
pour un public plein d’indulgence.
Fête annuelle dans le quartier,
des talents étaient révélés,
sur cette scène, en abondance.
Claudette chantait avec passion
chaque année la même chanson,
celle des tristes roses blanches.
Je retrouvais vos noms enfouis
dans ces lieux où coulait l’oubli.
Et contre toute convenance,
Vos prénoms m’étant revenus,
je les ai criés vers les nues,
Et j’ai pleuré sur votre absence.
Oh mes parents, oh mes amis,
Vous me manquez tant aujourd’hui!
La mort crée de la souffrance.
Je ne vais jamais revenir,
mais je garde vos souvenirs,
qui ont fondé mon existence.
– Annick Markmann