Quand on poussait la porte, le carillon teintait.
Ses tubes métalliques, s’entrechoquant, chantaient
Une douce mélodie. Monsieur Juquel venait,
Droit et sec dans sa blouse grise, il souriait.
Bonjour, me disait-il, voilà notre trottin!
Alors, mam’zelle, que désire notre couturière?
La couturière, c’était maman. Et sans manière
Je demandais du lin, du coton, du satin.
Bien sûr, tu l’as compris à mon vocabulaire,
Monsieur Juquel vendait au mètre, des tissus.
J’avais huit ans, faisais les courses pour ma mère,
Et ici, comme chez la mercière, j’étais connue.
J’aimais tout de ce magasin. J’aimais l’odeur
D’étoffes neuves et d’apprêts, les grands casiers,
Leurs rouleaux de textiles en ordre bien classés
Selon leurs dimensions, leurs fibres, leurs couleurs.
J’aimais aussi le marchand, et son langage,
J’aimais les mots qu’il employait et ses images.
J’aimais son apprenti prénommé Elgardo,
Que je trouvais, sympa et plutôt rigolo.
On prêtait à Elgard de mauvaises actions
Comme d’avoir volé la voiture du patron.
Mais ce n’était pas mon affaire de le juger.
Elgard n’était pas là, lorsque j’étais entrée.
Je présentai commande et échantillon,
Le vendeur sagement étudia la question.
Il sortit du rayon la pièce souhaitée,
Qu’il posa sur sa longue table graduée.
Puis il déroula la toile ou le crépon,
Il marqua d’un trait la mesure au crayon,
Fit une entaille avec d’énormes ciseaux,
Et en suivant le fil il coupa le morceau.
C’était alors qu’il avait son récit commencé.
Ce que disait cet homme, il fallait l’écouter.
Et pendant qu’il pliait l’étoffe dans un papier,
Le maître de l’échoppe, m’avait ainsi parlé.
Je veux te raconter ce qui m’est arrivé.
J’avais un apprenti qui aimait le métier.
Je lui faisais confiance, il était appliqué,
Il était orphelin, je pensais l’adopter.
Or, un lundi matin, je l’envoie au marché,
Pour acheter des fruits et autres babioles.
Il revient en courant, complètement apeuré,
« Je veux fuir d’ici, prête-moi ta bagnole. »
Je lui fais raconter ce qui si fort l’effraie,
« J’étais dans le marché, quelqu’un m’a bousculé.
Je me suis retourné, La Mort m’observait
Elle était menaçante, alors j’ai décampé.
Je t’en prie, laisse-moi partir à Saint-Genix
Où la Mort ne pourra jamais me retrouver. »
Il irait chez ma sœur, il avait son permis,
Je lui passai les clefs, il partit sans tarder.
Plus tard, au marché, moi-même, je me rendis
Je vis aussi La Mort dans la foule marcher.
Je m’approche et lui dis « Vous avez adressé
Un geste de menace à mon jeune apprenti. »
« Ce geste n’était pas fait pour le menacer,
Mais j’étais étonnée de le croiser ici
Alors que j’avais un rendez-vous fixé
Avec lui, ce soir même, ville de Saint-Genix. »
J’ai dit : « Je l’aimais bien, votre jeune apprenti.
Je crois qu’il vous aimait en retour lui aussi. »
Il avait de la peine le patron d’Elgardo.
Il a pris un coupon et il m’a dit: « cadeau! »
Au chemin du retour je me suis questionnée:
Dans cette affaire, qui avait dit la vérité?
Elgardo avait-il ou non volé l’auto?
Pourquoi était-il mort si jeune, Elgardo?
Lorsque j’ai rapporté à maman les tissus,
Je n’ai pas raconté l’histoire entendue.
Je l’ai gardée pour moi, et me suis demandée:
Le nombre de nos jours est-il vraiment fixé?
– Annick Markmann